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Le droit à l’oubli

Un nouveau droit de la personnalité
pour parfaire sa réputation sur internet ?

par Clara Massis de Solere – Conférence Barreau de Paris et Collège des Bernardins

Conférence du Barreau de Paris et le Collège des Bernardins

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par Clara Massis de Solere

Le règlement européen de 2016, dit RGPD entré en vigueur en France depuis le 25 mai 2018, est venu consacrer expressément, en son article 17, un « droit à l’oubli », consistant en un droit à l’effacement et au déréférencement de données qui ne sont plus nécessaires, sous certaines limites et conditions.

A ce sujet, Clara Massis de Solere est intervenue le 11 octobre 2018 à une importante conférence organisée par le Barreau de Paris et le Collège des Bernardins, afin de s’interroger sur les enjeux juridiques mais aussi sociologiques de ce nouveau droit à l’oubli à l’ère du numérique.

Voici en résumé les principaux thèmes abordés lors cette conférence :

Thème n°1 I La mémoire numérique

Par opposition à la mémoire humaine qui fait naturellement le tri de nos données, la mémoire numérique fait face à un flux infini d’informations. Sur internet, la notion de temporalité n’existe plus. Face à cet excès d’informations, le droit à l’oubli est devenu une absolue nécessité.

Mais jusqu’où ce droit peut-il aller ?

Thème n°2 I Le droit à l’oubli, un droit fondamental de l’individu

L’oubli est une fonction vitale de l’individu, qui ne peut pas vivre sans oublier. Il est une condition de sa construction. L’individu ne peut donc pas vivre dans cette hypermnésie juridique « au risque de devenir fou » – Boris Cyrulnik. Le droit à l’oubli est un droit fondamental de la personne. C’est un droit très personnel qui touche à l’intimité de la personne, à ses souvenirs, à ses secrets, et à sa liberté d’oublier ou de ne pas oublier.

Thème n°3 I La consécration européenne du droit à l’oubli

La consécration du droit à l’oubli est avant tout l’histoire d’une bataille européenne, « ancrée dans la tradition de l’humanisme et des Lumières ». I.Falque-Pierrotin (I.Falque-Pierrotin, L’Europe doit jouer un rôle décisif dans le monde numérique du XXIème siècle, 15/06/2016, p.3).

Thème n°4 I le difficile équilibre entre le droit à l’oubli et les libertés collectives fondamentales

Le droit à l’oubli se heurte à plusieurs libertés collectives fondamentales : la liberté d’expression, le droit du public à l’information, le devoir de mémoire et la préservation de l’Histoire.

Le difficile droit à l’oubli de l’ancien condamné

CEDH 28 juin 2018 ML & WW c/ Allemagne n° 60798/10 et 65599/10

Au nom de la liberté d’information et de l’Histoire, la Cour Européenne refuse que le nom d’anciens condamnés ayant purgé leur peine soient effacés des archives de presse en ligne. Aussi légitime que puisse être cette décision du point de vue des libertés collectives fondamentales, c’est pour l’individu une forme de deuxième peine, ce qui ressort de la motivation des juges :

Avec le temps, l’intérêt de la personne à ne plus être confronté à sa faute acquiert plus de poids. Mais il ne peut se prévaloir d’un droit absolu à ne plus être confronté à sa faute.

Le droit à l’oubli des erreurs de jeunesse

TGI réf 26 juillet 2013 Légipresse page 311 page 684

Le juge des référés a ordonné la suppression, au nom du droit à l’oubli et de l’évolution de la personne, d’une photographie prise il y a 25 ans, d’un adolescent affichant des positions politiques extrémistes : « cet adolescent a été photographié à un âge de particulière fragilité et ce sans aucun égard pour l’évolution qu’il a pu connaître depuis lors ».

L’histoire et le devoir de mémoire

En effet, si le droit à l’oubli conditionne la construction de l’individu, la défense des libertés collectives conditionne l’équilibre des démocraties, notamment au nom de l’histoire et du devoir de mémoire. La numérisation des archives accessibles à tous est un véritable progrès pour l’Histoire : un internaute effectue en moyenne 150 requêtes/recherches par jour sur Google.

L’oubli des victimes face à la liberté d’information

Le droit à l’oubli des victimes est complexe, partagé entre le nécessaire oubli pour leur reconstruction, mais aussi le devoir de mémoire pour ne pas les oublier. TGI Paris réf 13 juillet 2017 Légipresse nov 2017 n°354 page 534 à propos de la publication, un an après, en page de couverture d’un journal, de scènes d’attentat : le juge des référés a prononcé une interdiction absolue de publier ces photos à l’avenir, y compris sur internet, non pas au nom de l’oubli mais de la dignité. Au nom de leur dignité,
la justice a donc forcé l’oubli des victimes.

Thème n°5 I Le droit au déréférencement, une solution satisfaisante d’équilibre

Le droit au déréférencement a été reconnu par une décision très importante de la Cour de Justice Européenne arrêt dit GOOGLE SPAIN du 13 mai 2014 (Google Spain c/ Maria Costeja Gonzalez C 131/12), reconnu et consacré ensuite par le RGPD. Le droit au déréférencement permet d’obtenir qu’une information soit désindexée de la liste des résultats qui apparaissent lorsque l’on tape le nom d’une personne sur un moteur de recherche.

Ainsi, la liberté d’information est préservée puisque l’information n’est pas effacée du site d’origine, mais décorrélée du nom de la personne.

Le droit au déréférencement constitue une solution concrète et efficace au phénomène du filtrage et du profilage générés par les moteurs de recherche.

Cependant, pour l’Avocat Général dans l’affaire Google Spain, le déréférencement nuit au rôle très positif des moteurs de recherche : « on est libre, pour des raisons qui nous sont propres, de nous renseigner, et on a le droit d’avoir accès à une liste de résultats pertinents ». D’autres se sont inquiétés, à juste titre, de voir les moteurs de recherches devenir les premiers arbitres du droit à l’oubli et de la liberté d’expression. On voit ainsi apparaître en Europe de nouveaux modèles de moteurs de recherche protégeant nos données personnelles : notamment le moteur de recherche européen QWANT.

Conclusion

Le droit à l’oubli est un droit relatif qui ne peut pas être absolu.
Pour l’individu aussi, un droit à l’oubli trop systématique conduirait à une forme de « révisionnisme personnel », un moyen de se racheter une identité « parfaite ». Il faut savoir que parmi les requêtes Google, l’un des mots les plus recherché est « meilleur … » : on recherche le meilleur restaurant, le meilleur voyage, … on recherche le meilleur…

Finalement, à force de vouloir tout effacer, tout oublier, tout parfaire ne met-on pas en danger le droit à l’erreur et la tolérance ?

Quel avenir pour la Génération Millenium, née sous l’ère numérique ? Saisir la réalité du monde numérique – ses opportunités et ses risques – et surtout maîtriser sa vie numérique, sans perdre sa véritable identité.

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